Bâtir l’avenir avec des filières biosourcées locales

Les filières biosourcées peinent encore à répondre aux exigences croissantes de la construction durable, malgré l’impulsion de la RE-2020 et l’urgence climatique. Manque de structuration, normalisation incomplète, chaînes de production fragiles : autant d’obstacles qui freinent leur essor, alors même que collectivités et industriels cherchent des solutions locales et bas carbone. Dans ce contexte, BioBuild Concept et le Cerema accompagnent le développement de filières territoriales, du champ au bâtiment. 
Rencontre. [article paru dans le magazine « INFORMATIONS ENTREPRISE » n°195]

Informations Entreprise : Avec la RE2020 et les exigences carbone, quelles sont aujourd’hui les principales attentes et contraintes des collectivités territoriales ?

   

Bernard Boyeux (Directeur de BioBuild Concept)  : Les collectivités territoriales occupent une position stratégique dans la transition écologique du bâtiment. Elles sont à la fois porteuses de politiques publiques et grands maîtres d’ouvrage, ce qui les place en première ligne face aux exigences de la RE2020. L’immobilier représente leur deuxième poste budgétaire, et elles sont concernées à double titre  : comme gestionnaires de leur patrimoine bâti et comme acteurs du développement local.

En partenariat avec le Cerema, nous intervenons en amont de la construction, en structurant des filières locales biosourcées, de la production agricole à l’intégration des matériaux dans le bâtiment. Cette approche répond pleinement aux objectifs de planification écologique  : atténuation du changement climatique, adaptation, préservation de la biodiversité, réduction des pollutions et valorisation des ressources locales (comme la balle de riz en Camargue, le lin en Haut de France et en Normandie ou le colza dans de nombreux territoires).

NG2B – Normalisation de granulats pour bétons biosourcés

Durée : 2021/2024
Objectif du projet  : Créer un référentiel partagé des granulats végétaux pour les bétons biosourcés.

Laurent Arnaud (Directeur du Domaine Bâtiment du Cerema)  : Dans cette dynamique, le Cerema, établissement public sous double tutelle de l’État et des collectivités, joue un rôle clé. Il soutient ces solutions territoriales à faible impact environnemental, notamment en Normandie et en Île-de-France, en partenariat avec  les coopératives agricoles. L’enjeu est clair : faire émerger des solutions concrètes, structurer les filières et fédérer les acteurs autour d’une vision partagée du bâtiment durable.

Quel est l’état de maturité des filières biosourcées en France ?

B.B. : La maturité des filières biosourcées en France reste contrastée. Certaines sont bien structurées, d’autres en phase d’émergence. Cette maturité s’évalue à plusieurs niveaux : technique, normative, économique, logistique et commercial. Dans le bâtiment, on distingue trois grandes familles de matériaux.

Bernard Boyeux

Les isolants biosourcés (chanvre, lin, ouate de cellulose, etc.) sont les plus avancés. Leur comportement thermique est comparable à celui des laines minérales, avec en prime une empreinte carbone bien plus faible grâce à leur capacité à stocker du CO₂. Ils s’intègrent aisément dans les pratiques actuelles. Les mortiers et bétons biosourcés, en revanche, relèvent de l’innovation de rupture. Ils exigent une approche globale : performances thermiques, acoustiques, mécaniques, qualité de l’air, et même coût global, comme l’a montré une étude du Cerema dès 2017. Leur intégration suppose des adaptations dans la mise en œuvre.

Laurent Arnaud

Enfin, la construction en paille, bien qu’atypique, a atteint une maturité reconnue et séduit de plus en plus de collectivités pour sa forte cohérence avec les circuits courts.

Si la normalisation reste européenne, les collectivités territoriales ont un rôle clé à jouer dans la structuration des filières locales, en mobilisant l’ensemble des acteurs, du champ au chantier.

Pouvez-vous nous donner un exemple concret de structuration réussie d’une filière biosourcée 
sur laquelle est intervenue Biobuild Concept ?

B.B. : Un exemple concret serait la structuration d’une production de chanvre en Île-de-France, dans le Gâtinais, plus précisément autour de Milly-la-Forêt, au sein du Parc Naturel Régional du Gâtinais français. Cette filière a émergé grâce à une demande et un financement initiés par le parc naturel régional et la chambre d’agriculture. L’objectif était d’accompagner les agriculteurs locaux dans la mise en place d’un outil de transformation du chanvre.

Ainsi est née Gâtichanvre, une unité de transformation qui accompagne les producteurs de chanvre, collecte les matières premières, les transforme et commercialise ses dérivés. Ce projet, bien que mené à une échelle relativement restreinte, illustre la faisabilité et la pertinence d’un modèle territorial intégré. Certes, l’entreprise a rencontré des difficultés après son lancement, mais elle a su rebondir et poursuit aujourd’hui son activité, preuve que ces démarches peuvent être pérennes avec un accompagnement adapté.

Quel rôle le Cerema joue-t-il dans l’accompagnement des filières biosoucées ?

L.A. : Le Cerema est un partenaire historique de BioBuild Concept, notamment sur des projets de recherche, développement et normalisation. Nous avons joué un rôle central dans l’élaboration d’un référentiel pour les granulats végétaux utilisés dans les bétons biosourcés (projet NG2B), en lien avec des laboratoires et des industriels.

Emmanuelle Adreani Architecte

Avec l’entrée en vigueur de la RE2020, le Cerema a renforcé son action en faveur des matériaux bio et géo-sourcés. Nous intervenons à plusieurs  niveaux  : accompagnement de l’État dans les politiques publiques, déploiement dans les territoires et R&D. Le Cerema a notamment contribué à définir les indicateurs et seuils de la réglementation. Aujourd’hui, nous proposons des offres de services pour aider les territoires à structurer leurs filières, en lien avec les COP
territoriales, et menons des actions concrètes comme le projet TOMA dans les Outre-mer. Notre rôle est essentiel pour créer un écosystème favorable au développement des matériaux durables.

Pouvez-vous nous parler du projet porté en Seine-Normandie ?

B.B. : Dans cette logique d’accompagnement des territoires, nous avons en effet répondu à un appel à projet porté par la vallée de la Seine, un territoire d’envergure internationale adossé à deux régions que sont la Normandie et l’Île-de-France, toutes deux riches en ressources agricoles et en besoins de construction. Ce projet, soutenu par l’ADEME Ile de France et la Région Normandie vise à identifier les matières premières mobilisables pour la fabrication de matériaux biosourcés, puis à structurer toute la chaîne de production, depuis les agriculteurs jusqu’à la mise en œuvre dans le bâtiment.

Ici encore, nous travaillons en partenariat avec le Cerema, mais aussi avec La Coopération Agricole et les laboratoires UniLaSalle et BUILDERS. École d’ingénieurs. L’objectif est de sélectionner deux ou trois filières clés, de cartographier les acteurs engagés et de développer des unités de transformation locales. L’enjeu final est de démontrer l’efficacité de cette approche à travers la construction de bâtiments exemplaires utilisant ces matériaux, afin d’ancrer durablement ces nouvelles filières dans les territoires

Quels sont vos projets ?

B.B. : Nos projets se développent en France hexagonale, en Outre-mer et en Afrique de l’Ouest, avec un objectif commun  : adapter les solutions biosourcées aux réalités locales et climatiques. En France, nous collaborons avec le Cerema pour identifier les régions prêtes à structurer des filières locales, y compris dans les territoires ultramarins où les matériaux importés alourdissent les coûts et le bilan carbone.

CoCliCo (Construction sans Climatisation et Confortable)

Durée : 4 ans – Lancement : 09/2024
L’objectif général de CoCliCo est d’élaborer et éprouver une démarche de construction adaptée aux zones climatiques chaudes, efficace thermiquement, accessible aux populations et garantissant le confort des usagers sans l’utilisation de fluides frigorigènes et en minimisant le recours aux énergies fossiles.

champs ble et coqulicot

Gâtichanvre

laboratoire

BatiVert Coop – Déploiement et structuration d’une filière nouvelle de matériau de construction biosourcés

Lancement : 2025
La Coopération Agricole Île-de-France, La Coopération Agricole Grand Ouest, La Coopération Agricole, le Cerema, l’Institut Polytechnique UniLaSalle, Builders Ecole d’ingénieurs, la Guilde Sable Vert et BioBuild Concept s’unissent pour développer les filières biosourcées à l’échelle des régions normande et francilienne à destination de la construction.

À l’international, notamment au Sénégal – où nous avons ouvert un bureau d’étude, BioBuild Africa – nous accompagnons des initiatives comme le programme TyCCAO porté par l’ADEME, qui valorise le typha, plante envahissante, en matériaux de construction et biocombustible. Ces projets s’inscrivent dans une logique de résilience climatique, portée également par le Cerema.

L.A. : La résilience des bâtiments et leur préparation au climat de demain sont des sujets prioritaires pour le Cerema en intégrant matériaux biosourcés, ventilation naturelle ou végétalisation. Le potentiel de développement est mondial : nombre de biomasses non valorisées pourraient devenir des ressources locales à faible impact environnemental, dans une approche durable, circulaire et accessible pour répondre aux besoins de bâtiments et de logements. Tous les territoires nationaux (continentaux mais également outre-mer) et à l’international ont des ressources non valorisées mais valorisables dans le domaine de la construction afin de limiter les impacts environnementaux tout en répondant aux besoins impérieux de bâtiments.